(Géographie ancienne) contrée de l'empire russien ; elle comprend la partie la plus septentrionale de cet empire, et même de l'Asie. Elle est bornée à l'orient par la mer du Japon, au midi par la grande Tartarie, à l'occident par la Russie, dont elle est séparée par le commencement du mont Caucase, et au septentrion par la mer Glaciale ; ainsi la Sibérie peut avoir huit cent lieues dans sa plus grande étendue d'occident en orient, et trois cent lieues du midi au nord.

Comme ce grand pays est situé entre le 50 et le 70d de latitude, le froid y doit être très-piquant dans les parties septentrionales ; mais voici une autre cause qui augmente le froid jusques dans les cantons méridionaux. La Sibérie n'est, à proprement parler, qu'une large vallée ouverte aux vents du nord qui la traversent sans obstacle depuis la nouvelle Zemble jusqu'au sommet du Païassemnoï ; or cette exposition y rend le froid plus excessif que dans des pays septentrionaux, tels que la Suède, mais que des montagnes mettent à l'abri du nord.

Cette contrée produit les plus riches fourrures ; et c'est ce qui servit à en faire la découverte en 1563. Ce fut sous Ivan Basilides, qu'un particulier des environs d'Arcangel, nommé Anika, riche pour son état et pour son pays, remarqua que des hommes d'une figure extraordinaire, vêtus d'une manière jusqu'alors inconnue dans ce canton, et parlant une langue que personne n'entendait, descendaient tous les ans une rivière qui tombe dans la Dwina, et venaient apporter au marché des martres et des renards noirs, qu'ils troquaient pour des clous et des morceaux de verre, comme les premiers sauvages de l'Amérique donnaient leur or aux Espagnols ; il les fit suivre par ses enfants et par ses valets jusque dans leur pays ; c'étaient des Samojedes.

Les domestiques d'Anika étant de retour, rendirent compte à leur maître de l'état du pays qu'ils avaient vu, et de la facilité de gagner des richesses immenses en portant aux habitants des marchandises de peu de valeur contre leurs belles pelleteries. Anika profita de cet avis, et fit si bien qu'en peu d'années ses gens, ses parents et ses amis se trouvèrent enrichis par ce nouveau trafic.

Les Aniciens, c'est ainsi qu'on les nomma, se voyant comblés de biens, et craignant des révolutions de la fortune, songèrent, pour se maintenir, à se procurer un appui dans la personne du premier ministre. On les écouta favorablement, et peu de temps après l'empereur de Russie fut reconnu par tous les Samojedes pour leur souverain.

On éleva des forteresses le long de la rivière d'Oby, on y mit des garnisons, et on nomma un gouverneur général de tout le pays. On continue d'y envoyer des colonies de russes, de tartares, de polonais. On y condamne même comme à un exil, des voleurs, des misérables et autres gens qui sont l'écume des hommes. Enfin des prisonniers de guerre suédois du premier mérite y ont été relégués par le czar Pierre.

C'est-là qu'on a bâti Tobolski, devenue capitale de cette vaste contrée, et le séjour du vice-roi. Tous ceux qui doivent des tributs en pelleterie les portent dans cette ville ; et quand ces tributs sont recueillis, on les envoie à Moscou sous une bonne escorte.

La Sibérie est occupée par trois sortes d'habitants ; savoir, 1°. par des peuples payens, qui sont les anciens habitants du pays ; 2°. par des tartares mahométants, qui sont ceux sur lesquels les Russes l'ont conquise ; 3°. par les russes qui en sont à-présent les maîtres.

Les peuples payens qui habitent la Sibérie se divisent en plusieurs nations, dont les principales sont les Voguluzes et les Samojedes, qui habitent, les uns entre l'Oby et la Lena vers la mer Glaciale, et les autres sur la côte septentrionale de la Russie. Les Ostiaques habitent vers le 60 degré de latitude. Les Tingoèses, ou Toungonses, occupent une grande partie de la Sibérie orientale, et sont divisés en plusieurs branches. La plupart de ces peuples n'ont point d'habitation fixe ; ils vivent sous des huttes, ils demeurent pendant l'hiver dans les forêts, cherchant leur nourriture à la chasse, et dans l'été ils vont gagner les bords des rivières pour s'entretenir de la pêche. Les peaux des poissons sont leur habillement d'été, et les peaux des élans et des rennes leur servent au même usage en hiver. Un arc, une flèche, un couteau, une hache avec une marmite font toutes leurs richesses. Les râclures d'un certain bois leur tiennent lieu de lit de plume pour se coucher ; les rennes et les chiens leur servent de chevaux pour tirer leurs traineaux sur la neige. La religion de ces différents peuples consiste en quelque honneur qu'ils rendent au soleil, à la lune et à leurs idoles.

Les tartares mahométants font la seconde partie des habitants de la Sibérie. Ils occupent un grand nombre de villages le long de l'Irtis et de la Tobol, et ils ont le libre exercice de leur religion. Leurs principaux chefs sont des murses.

Les russes qui font la troisième espèce d'habitants actuels de la Sibérie, sont venus s'y établir depuis que ce pays est sous l'obéissance de la Russie, et leur nombre s'est accru en peu de temps.

La partie septentrionale de la Sibérie ne produit aucune sorte de grains ni de fruit, en sorte qu'elle est tout à fait inculte ; mais la partie méridionale n'a besoin que d'être cultivée pour produire les choses nécessaires à la vie. Les pâturages y sont excellents, et les rivières fourmillent de poisson.

C'est uniquement dans la Sibérie et les provinces qui en dépendent, qu'on trouve les renards noirs et les zibelines, de même que les gloutons ; les plus belles peaux d'hermines et de loups-cerviers en viennent pareillement. On y trouve aussi des castors en abondance, et ceux de Camizchatka entr'autres sont d'une grandeur extraordinaire. Comme toutes ces pelleteries sont fort précieuses, il n'est permis à qui que ce soit d'en faire négoce ; mais les habitants du pays qui en ont sont obligés de les porter aux commis du trésor, qui les doivent payer à un certain prix réglé.

La Sibérie est aujourd'hui partagée en autant de gouvernements qu'il y a de villes ; chaque ville a son vaiwode sous les ordres du vice-gouverneur-général, qui est un poste également honorable et profitable. La monnaie de Russie est la seule qui ait cours dans ce continent, mais elle y est fort rare, et tout le négoce s'y fait en échange, faute d'argent. Le gouvernement spirituel de la Sibérie est confié à un métropolitain du culte grec, tel qu'il est reçu en Russie, et ce prélat réside à Toboloskoy.

Qui croirait que cette contrée a été longtemps le séjour de ces mêmes Huns qui ont tout ravagé jusqu'à Rome, sous Attila, et que ces Huns venaient du nord de la Chine ? Les Tartares Usbecs ont succédé aux Huns, et les Russes aux Usbecs. On s'est disputé ces contrées sauvages, ainsi qu'on s'est exterminé pour les plus fertiles.

La Sibérie fut autrefois plus peuplée qu'elle ne l'est, surtout vers le midi ; on en juge par des tombeaux et par des ruines. Toute cette partie du monde, depuis le soixantième degré ou environ, jusqu'aux montagnes éternellement glacées qui bornent les mers du nord, ne ressemble en rien aux régions de la zone tempérée, ce ne sont ni les mêmes plantes, ni les mêmes animaux sur la terre, ni les mêmes poissons dans les lacs et les rivières. Il serait curieux d'en avoir des descriptions par un naturaliste, et ce sera le fruit du progrès des sciences en Russie. Gmelin a déjà ouvert cette carrière sur les plantes de cette froide contrée, par sa flora Siberica, Petropoli 1750, en deux vol. in-4°. avec fig. Quant à la description géographique de la Sibérie, on l'a mise au jour à Nuremberg en 1730, in-fol. Les curieux peuvent la consulter. (D.J.)